Nouvel extrait de Ma vie sera pire que la tienne
De tristes réverbères arrosent d’une lumière blafarde la carrosserie immaculée d’un crossover noir grand luxe. Vitres fumées, intérieur cuir, chromes satinés, caméra de recul et assistance au stationnement, il a toutes les options. Il coûte une blinde, mais il a été volé. À son bord, des têtes connues : trois présidents et un chauffeur. Un excellent chauffeur.
La voiture sort de la rocade, emprunte à vitesse réduite une route secondaire et débouche sur un parking planté au milieu d’une zone d’activité sans âme. La nuit est chaude. Sans étoiles. C’est la canicule. L’air est irrespirable.
Le chauffeur se gare. Le choix de l’emplacement n’est pas le fruit du hasard. C’est la meilleure place pour apprécier le spectacle. D’ici, on peut tout voir : les entrées, les sorties, les à-côté. La devanture du casino scintille en lettres de feu. BABYLONE.
Chirac a l’œil. Il a remarqué une nana bien balancée à l’entrée. Une déesse. Il n’a jamais résisté au spectacle d’une croupe qui se dandine. La femme est superbe dans sa toilette à cinq mille euros. Le galbe de ses jambes confine à la perfection. Elle tient son sac tout contre elle comme s’il était la chose la plus précieuse au monde. De l’autre côté, sa main parfaitement manucurée effleure celle de son faire-valoir du soir : un homme âgé au cuir tanné. À sa décharge, il est plutôt classe dans son complet Corneliani. Chirac l’envie. Chirac le déteste. Il aimerait être à sa place. Une femme du monde, ça doit avoir une saveur unique. Puis il se ravise. Il est là pour le fric, rien que pour le fric.
Hollande a de petits yeux. Ça ne l’empêche pas de fixer le casino avec une remarquable acuité. Il a l’air de rien comme ça – il souffre d’un léger embonpoint et paraît niais de prime abord – pourtant c’est un cador de l’observation. Il voit tout ; il note les moindres détails ; il délivre des synthèses précises et circonstanciées. C’est un homme utile.